Le parrainage des enfants juifs deportes pendant la 2e Guerre Mondiale cree la polemique

Le parrainage d'enfants juifs déportés crée la polémique 

Cécilia Gabizon et Cyrille Louis
15/02/2008 | Mise à jour : 17:40 |

LE FIGARO

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Proposée par le président de la République, cette mesure est contestée par des syndicats et des associations de parents d'élèves.

«Bienvenue» pour les uns, «irrecevable» pour les autres, l'idée que «chaque élève de CM2 se voie confier la mémoire d'un enfant victime de la Shoah» a suscité hier des réactions nuancées, tant parmi les enseignants et les parents d'élèves que sur la scène politique. Chargé d'expliquer l'annonce faite, la veille au soir par le chef de l'État, le ministre de l'Éducation nationale, Xavier Darcos, a lui-même concédé que «l'idée est un peu normative», avant d'inviter chacun à «faire confiance aux enseignants». Dans le même temps, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les effets pervers susceptibles d'être induits par ce nouvel outil pédagogique.

Si personne ne remet ouvertement en cause le bien-fondé de cette initiative, qui vise à «confier» chaque année la mémoire d'un des 11 000 enfants juifs déportés depuis la France à chacun des 700 000 élèves scolarisés en CM2, afin de perpétuer le souvenir de la Shoah, plusieurs dérives possibles sont d'ores et déjà mises en avant.

Sur le terrain strictement pédagogique, certains représentants de parents d'élèves, tel le président de la FCPE, Faride Hamana, jugent que l'idée, certes «louable», serait plus adaptée à des élèves de collège ou de lycée. «Si on veut que cette expérience profite réellement aux enfants, il faut qu'ils aient la maturité d'encaisser ce choc émotionnel et d'assimiler ce qu'ont vécu les enfants déportés», explique-t-il. Secrétaire général du Snuipp-FSU, majoritaire chez les enseignants du primaire, Gilles Moindrot estime pour sa part qu'«en liant artificiellement un enfant victime du nazisme à un élève de CM2, on risque de développer chez celui-ci un sentiment de culpabilité qui ne favorisera pas sa compréhension du phénomène historique».

«Concurrence mémorielle»

Sur le plan politique, par ailleurs, on peut craindre que l'initiative du chef de l'État n'attise la «concurrence mémorielle» qui sévit déjà entre diverses communautés. Maire socialiste de Sarcelles, François Pupponi avertit ainsi : «Certaines communautés trouvent déjà que la République ne prend pas suffisamment en compte leur propre souffrance. C'est le cas des Antillais, qui voudraient voir reconnu le drame de l'esclavage, ou celui des Arméniens pour ce qui concerne le génocide de 1915.» Inspecteur de l'Éducation nationale en Seine-Saint-Denis, Alain Seksig complète : «Les parents pourraient avoir le sentiment qu'on ne s'intéresse qu'aux juifs sans prendre suffisamment en compte leur mémoire. Faudra-t-il ensuite que l'on écrive le nom de toutes les victimes de la guerre d'Algérie ?»

Interrogé sur Radio Classique, Dominique de Villepin s'est insurgé pour sa part contre l'idée même que l'on puisse «décréter ou légiférer dans le domaine de la mémoire». Implicitement, l'ancien premier ministre relance ainsi la controverse ouverte il y a quatre mois, lorsque Nicolas Sarkozy avait imposé la lecture, dans chaque lycée, de la lettre écrite par Guy Môquet avant d'être fusillé.

Balayant ces objections, Serge Klarsfeld, qui s'est longuement consacré à la recension des 11 000 enfants déportés depuis la France, s'est dit «profondément touché» par l'initiative du président. Chargée par Xavier Darcos de mettre en œuvre ce projet, Hélène Waysbord entend, quant à elle, dissiper les malentendus : «Il s'agit de raconter la peur, la traque, la vie qui tient à un petit miracle, une famille qui vous cache ce qui n'est pas inutile quand certains enfants pensent que Rambo a existé. En revanche, nous ne raconterons ni l'extermination ni les chambres à gaz.» Une voix s'est également élevée à gauche pour défendre la proposition du président. Celle de Ségolène Royal, qui a estimé que cette initiative allait «dans le bon sens».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parrainage d'enfants juifs : Simone Veil s'insurge

C. M. (lefigaro.fr) avec AFP
15/02/2008 | Mise à jour : 17:51 |

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Simone Veil ; «On ne peut pas infliger ça à des petits de dix ans».(François Bouchon/Le Figaro)
Simone Veil ; «On ne peut pas infliger ça à des petits de dix ans».(François Bouchon/Le Figaro)

La présidente d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah a jugé la proposition «inimaginable, insoutenable et injuste».

Nicolas Sarkozy a défendu «une démarche contre tous les racismes, contre toutes les discriminations, contre toutes les barbaries, à partir de ce qui touche les enfants, c'est-à-dire une histoire d'enfants qui avaient leur âge». En visite à Périgueux, où il a plaidé pour un renforcement de l'instruction «civique et morale à l'école», le chef de l'Etat a défendu vendredi son idée controversée de «confier la mémoire» d'un enfant déporté de France, victime de la Shoah, à chaque élève de CM2.

«On ne traumatise pas les enfants en leur faisant ce cadeau de la mémoire d'un pays, pour leur dire : un jour c'est vous qui écrirez l'histoire de ce pays. Nous, nous en sommes la mémoire, ne refaites pas les mêmes erreurs que les autres», a-t-il martelé.

Polémique

L'initiative du chef de l'Etat, annoncée mercredi soir lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), a suscité la polémique.

Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les effets pervers susceptibles d'être induits par ce nouvel outil pédagogique. Vendredi, Simone Veil, présidente d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et ancienne déportée, n'a pas manqué de critiquer de manière virulente la proposition du chef de l'Etat. Elle a jugé cette mesure «inimaginable, insoutenable et injuste». Interrogée par l'express.fr, elle déclare : «on ne peut pas infliger ça à des petits de dix ans». «On ne peut pas demander à un enfant de s'identifier à un enfant mort. Cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter», a-t-elle ajouté. «Nous mêmes, anciens déportés, avons eu beaucoup de difficultés après la guerre à parler de ce que nous avions vécu, même avec nos proches. Et aujourd'hui encore, nous essayons d'épargner nos enfants et nos petits-enfants. Par ailleurs beaucoup d'enseignants parlent - très bien - de ces sujets», ajoute Simone Veil.

De son côté, François Bayrou a qualifié cette idée de «mélange des genres entre émotion et Histoire qui pose de lourdes questions». Le député PS de Paris, Patrick Bloche, s'est par ailleurs demandé : «Compte tenu de ce qui est déjà une réalité, pourquoi soudainement, comme à chaque fois sans consultation préalable, faire de la surenchère, créer une confusion, semer le trouble ?» Pierre Moscovici, enfin, a qualifié l'idée de «tout à fait malvenue», et estimé qu'il fallait la «retirer».